On n'entend plus les cris de la nature brûlée

Ya quelque chose qui me chagrine. Je ne saurais pas exactement dire quoi. J’ai simplement cette étrange impression, ce curieux sentiment qu’un je-ne-sais quoi va de travers. Que le temps se suspend, se contracte et joue ; que la vie se moque et fricote avec ses plus tristes atouts. Là, dehors, dans le souffle du vent qui parsème les feuillages de ses caresses, un silence nouveau annonce un triste avenir. La nature ne s’éteint pas encore mais elle se tait. Elle se fait silencieuse pour devenir invisible, et bientôt nous ne la verrons même plus mourir.

Parce qu’on ne l’entend plus la nature. Lorsque le premier coup de serpe a retenti, elle a hurlé. Certains ont entendu sa plainte, et se sont dressés pour la protéger, avec l’amertume d’un geste aussi ferme que désespéré. Mais leur action est si minime, que les coups de serpe ont continué à tomber. A force d’entailles, la douleur a disparu ; à force de cris, ce sont les sons qui se sont perdus.

On n’entend plus la vie grésiller, et on l’assourdit du silence de nos sommeils. On la fait taire avec nos briquets.

Diable, mais le feu, n’est-ce pas la magie de l’homme ? Comment pourrait-il survivre ici bas sans elle ? Même les premiers hommes avaient compris qu’un brasier s’entoure de pierres. A force d’acier et de béton, l’homme a oublié qu’il n’était pas à l’origine de la flamme, qu’il contrôlait sans vraiment créer. Il a oublié que c’est la nature qui possède et gouverne les éléments et principes qui rendent le feu possible. Il a oublié qu’il n’était qu’un animal doté d’une intelligence plus élevée que la moyenne le rendant capable de reproduire les miracles et les prodiges préexistants.

L’homme domine désormais un monde dans lequel il s’est érigé un statut, protégé par de grands paravents qui lui promettent une illusion bien plus facile à accepter que la réalité. Il est bien plus politique qu’il ne l’a jamais été, et pourtant il a oublié une part de lui.

En renonçant à son animalité, en succombant à l’inhibition permanente de la société, en rongeant un frein qui ne saurait être plus entamé, l’homme a mis en geôle ce qui dans sa nature lui semblait impropre à la vie en société. Mais ces choses, bien qu’enfermées, demeurent bien là. Sauvages et indomptables, elles s’échappent parfois sans être contrôlées et l’homme, maître incroyablement cruel pour ses propres pulsions, pour les punir les enferme plus profond.

Et tout au fond, ces bêtes qu’on ne peut domestiquer tournent dans le noir, s’enragent et se gangrènent ; et elles détruisent de l’intérieur un homme qui avait raison d’avoir peur, car il n’est de poison plus subtil que la nature refoulée et repoussée. Et plus elles deviennent noires, plus l’homme s’en effraie et s’en éloigne. Il perd le contrôle, et il le sait. Alors, il les fait plonger plus loin encore dans le néant, pour les oublier à jamais.

Si l’homme a fait cela, c’est parce qu’il a pris peur en se regardant dans le miroir. Et voyant son reflet, il a choisi de ne plus jamais se regarder, en se conformant à l’image qu’il avait de lui-même. Il a choisi de cloisonner ce qu’il haïssait chez lui au lieu d’apprendre à l’apprivoiser. Hélas, il n’est de bête plus féroce, plus encline à la vengeance suicidaire que celle qui fut encagée.

En lui, comme dans la nature, l’homme a fait taire le rugissement qu’il ne pouvait contrôler et tarir les flots qui se dressaient sur son chemin. C’est la logique de la peur qui a guidé son bras : et ce n’est pas honteux. Mais se faisant, l’homme, d’un même mouvement, a commencé à rendre muette la nature, tandis que lui-même s’assourdissait.

L’homme est un adolescent sourd jouant avec un briquet à côté d’un tas de fougères sèches. Et les feux de forêts qu’il déclenche pour asseoir son pouvoir et oublier ses démons continuent d’étouffer les lamentations d’une nature qui se sait violée. L’animal vu comme un monstre a été remercié, alors qui permettait à l’homme de vivre en harmonie en sachant par instinct ce qu’il pouvait prendre et ce qu’il devait donner. Et surtout, en lui faisant sentir le danger approcher.

Et l’homme, désormais, privé de cette partie de lui, ne semble plus entendre le pas lourd et lent d’une fin qu’il s’est lui-même commanditée.

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