Apprivoiser la violence

« L'amour physique est impensable sans violence.» - Milan Kundera

« Celui qui rend violence pour violence ne viole que la loi, et non l'homme. » - Francis Bacon

« C'est dans sa violence que la nature est la plus belle. » - François Raux

« Chaque être humain se nourrit de violence, de la démonstration de son pouvoir sur son prochain. » - Dan Simmons

Lorsqu’on parle des sociétés modernes, on les qualifie de «civilisées ». C’est d’ailleurs la théorie phare du sociologue Norbert Elias : l’homme d’aujourd’hui s’est construit au travers d’un processus l’ayant amené à contrôler ses pulsions. Autrement dit, l’homme a vaincu Eros et Thanatos, ces deux entités symbolisant chez Freud et Jung le désir d’embrasser la chaire ou bien de porter la mort. Ces deux dynamiques, au fil de l’histoire, ont été réprimées, écrasées par la botte de la loi, pourfendues par les conceptions humanistes.

Portées par les religions et la philosophie, la raison, la morale, et une quantité infinie de concepts sont venus abreuver de connaissance nos esprits, construisant des cadres, édifiant des logiques, substituant le pouvoir des mots à la puissance du poing. Aujourd’hui, nous sommes protégés d’Eros et de Thanatos. La société veille au grain, en nous éduquant, en nous communiquant les règles du « savoir vivre ». Elle nous enseigne à contrôler nos pulsions dès notre plus jeune âge. A vrai dire elle ne fait que ça, et il faut reconnaître qu’elle a acquis en la matière un redoutable talent. Famille, école, monde du travail, peu de lieux finalement échappent à une loi qui interdit sous toute forme que ce soit la violence sous peine … d’être violenté.

Le bon vieux Max le disait si bien : « L’Etat est la seule instance qui revendique avec succès le monopole de l’exercice de la violence légitime. »

L’Etat, incarnation politique de la société, a le droit. Mais toi, non, ca c’est interdit. Loin de moi l’idée d’encourager un quelconque acte violent : en ce point la société est bien faite, car en effet elle nous protège de la violence. Et ce petit billet n’a en aucun cas l’objectif de détruire la notion de loi. Il est nécessaire de posséder un ensemble de règles pour « vivre ensemble ». Pour, justement, nous inviter à contrôler nos pulsions.

Et ceci n’est pas une contradiction : un homme doit contrôler sa violence. Ou plus précisément, pour reprendre la jolie métaphore de Saint-Exupery, l’apprivoiser.

C’est ici que s’enracine le véritable problème de la société moderne : elle nous enseigne, finalement, à nous battre contre nous-mêmes. A détester certaines parties de nous. A refuser et à enfouir certaines choses parce qu’elles sont instantanément jugées impropres. Mais ces jolies choses, cette partie bestiale dont je parlais dans mon précédent billet, ne meurent pas. Ridicule que de croire qu’elles étoufferaient comme des verrues. Au contraire elles se gangrènent, elles s’amplifient en profondeur jusqu’à éclater au plus mauvais moment.

Jusqu’à pousser l’homme dans ses pires retranchements. Le problème de la société moderne, avec toutes ses années d’expérience, c’est qu’elle a arrêté d’essayer de comprendre sa violence et qu’elle préfère la nier, pour la rendre contre-nature.

Et ainsi elle en laisse certains oublieux, incapables de lever le poing, et d’autres torturés, incapables de le baisser.

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