The Blind Realm

J'étais piégé dans le noir.

Les ténèbres m'avaient avalé. Englouti. Phagocyté. Je les sentais presque s'infiltrer en moi. Le néant absolu qui m'entourait était un terreau beaucoup trop fertile à mon imagination. A cet instant, j'aurais voulu être né borgne, car je venais d'entrer dans le royaume des aveugles. Le regard est sans aucun doute le sens par excellence de la modernité, tant les hommes trouvent dans ce qu'ils observent les moyens de rassurer leur terreur de l'inconnu. Et croyez-moi, je l'ai vite compris.

Par l'effet de ce canevas obscur, la toile de mon esprit se tapissait de peintures cauchemardesques et monstrueuses. L'obscurité prenait vie au rythme de mon souffle. Mes tempes bourdonnaient comme des tambours de guerre, enserrant mon front d'un étau de fonte.

Je ne comprenais pas. Je ne voulais pas comprendre. Cette aventure devenue cauchemar transpirait l'irréel. Compressé par une force inconcevable, qui avait autant trait à la terreur qu'à la folie, mon corps recroquevillé en fœtus était devenu ma propre cage. J'étais mon propre geôlier, mon propre bourreau. Parce que rien ne m'attendait dans ces ténèbres, sinon que le parfum de l'inconnu. Rien m'attendait, et c'est précisément ce qui le rendait aussi fertile à la gestation de l'effroi.

Je n'ai pas honte de l'avouer, j'ai craqué. L'orchestre de larmes, gémissements et lamentations emplit le souterrain d'un affreux vacarme. Et tandis que je pleurais et hurlais, je sentis les ombres refluer, reculer. En lisière de ma raison se dessinait une voie, à mesure que la cour des démons s'écartait sur mon passage. Quelque chose en moi refusait d’abandonner, refusait de se laisser choir sur ce sol poussiéreux pour y demeurer éternellement.

La terreur au ventre, mon instinct de survie venait de se réveiller.

Remonter semblait impossible, mon téléphone était inutile. Deux solutions s’offraient à moi : attendre le lever du soleil dans cet endroit et espérer pouvoir, au petit matin, hurler suffisamment fort pour attirer un passant ; ou tout simplement …

Avancer.

Le premier choix était sans aucun doute celui de la facilité et de la sécurité, mais je n’avais aucune garantie que qui que ce soit parvienne jusqu’à un coin aussi reculé des sentiers. Le choix était cornélien. Mes yeux s’étaient peu à peu habitués à l’obscurité, me faisant discerner une sorte de brouillard grisonnant. En face de moi, la forme d’un tunnel taillé par l’homme semblait se dessiner, et il me sembla alors contempler la porte des Enfers.

Les yeux écarquillés, je m’attendais à sursauter au moindre mouvement, au plus ridicule des sons. Mais rien, sinon que le silence, et le martèlement de ma propre respiration. Il n’y avait rien dans ses ténèbres, du moins en étais-je désormais persuadé. Et la futilité, l’absurdité même de mon voyage initial m’apparut comme une épiphanie. Qu’avais-je voulu faire ? Raconter une histoire ? La vivre ? Devenir un héros de roman ?

Un rictus déchira mon visage tandis que je souriais narquoisement de ma propre bêtise. Il n’y avait rien, je ne craignais rien. Alors, je pouvais avancer. Je pouvais continuer cette aventure, et en finir avec cette idée stupide. Sans détacher mon regard du couloir, j’inspirai une grande goulée d’air et me relevai lentement. Ma cheville foulée risquait de me ralentir un peu, mais je savais par expérience pouvoir endurer la douleur sur de longues distances.

L’homme moderne a souvent tendance à considérer la folie du regard hygiénique et psychologisant, oubliant rapidement que l’énergie du désespoir a souvent poussé l’homme à accomplir des miracles. Et, précisément, pour ne point céder face à la terreur, j’avais choisi de vivre mon grain de folie.

J’exhalai lentement l’air coincé dans mes poumons et j’entrepris de longer le mur en me servant des mes mains pour parvenir à l’entrée du couloir. Je savais que le moindre pas en arrière me serait fatal.

Alors, sans réfléchir une seconde de plus, je plongeai dans les abysses.

Au début mon pas était lent, maladroit, mal assuré, mais bientôt j’accélérai, comme tiré par les chevaux de l’effroi. Je n’avais absolument aucun repère sinon que les contacts rassurants du sol sous mes pieds, et du mur sous ma main. Pendant de longues minutes, je continuais d’avancer dans le noir, dans l’attente frénétique du moindre changement.

Mon esprit privé de la vue était intégralement concentré sur ses autres sens. Je reniflais l’air à la recherche de la moindre odeur nouvelle, je tendais l’oreille, attentif au plus petit bruit. Mais rien, sinon que la poussière, rien sinon que le duo musical de mon pas et de mon souffle.

Et brusquement, l’histoire me donna tort.

J’avais entendu quelque chose.

C’était léger, subtil, doux.

Quelque chose de lointain qui ressemblait à une mélodie.

J’étais en train de divaguer.

J’hallucinais.

Je refusais de m’arrêter, par peur de ne plus jamais repartir, vivant dans la terreur absolue de disparaître dans ce corridor ténébreux. Mon pas se fit encore plus rapide, encore plus sourd, et je courrais presque. Quand soudain, sous ma main gauche, le mur disparut. Et ma surprise fut telle que je hurlai dans l’obscurité.

En un instant je revins sur mes pas pour retrouver mon repère, découvrant alors avec soulagement que le couloir tournait simplement à gauche. Sans prendre le temps de vérifier s’il s’agissait d’un carrefour, je m’y engouffrai.

Et soudain la mélodie revint.

Plus forte, plus doucereuse, encore plus fascinante. Ma raison hésitait entre croire à ce fil d’Arcane miraculeux, et admettre que j’avais succomber à la folie. La vraie cette fois-ci. Mais, sinon que croire un instant à cette possibilité, il ne me restait d’autre solution.

Je tendis l’oreille, et concentrai mon attention pour marcher en direction de la mélodie. Plus j’avançais, et plus il me semblait reconnaître les accords d’une guitare. Et chacune des vibrations qui déchirait l’air me redonnait du courage. Je parvins finalement à une autre bifurcation, et soudain un frisson de soulagement parcourut mon corps tout entier.

Loin devant moi, un halo jaunâtre perlait l’obscurité de quelques rayons. Dans un élan instinctif, sans l’ombre d’une hésitation, je me précipitai en avant.

La lumière, bordel, j’avais retrouvé la lumière.

 

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